Document publié en 1976 par Mr Raymond Brothier, 16700 Ruffec  (C)

Les émissions "pirates" de Radio Nanteuil-en-Vallée
Extraits de Presse (10)

NOIR ET BLANC, du 8 juin 1962
   
  Au pied du clocher de Nanteuil, l'émetteur pirate avait installé son antenne. La station fonctionna pendant des mois. Elle ne connut qu'un incident technique.
 
Depuis des mois, la R.T.F. cherchait à traquer sur les ondes l'émetteur clandestin du "Poste de la Joie". Dalida et Dario Moreno ou Tino Rossi ont trahi Brothier, "Le pirate de Nanteuil".
Ici et à Ruffec, on pleure dans les chaumières.
On pleure à cause de deux voix chères qui, sur les ondes clandestines se sont tues.
Ces voix sont celles des chanteurs à la vogue, dont les accents bouleversants versaient le vague à l'âme dans les familles ferventes de la radio. Celles-ci, captaient les émissions d'un poste clandestin, animé par un excellent homme, M. Brothier. A dix ans, dans son village natal des Deux-Sèvres, il avait été émerveillé par le prestige dont jouissait un prêtre, à la vérité plus soucieux de technique que de connaissance des lois.
Aujourd’hui, transplanté en Charente, M. Brothier avait imaginé renouveler l’expérience du maître.
 
Tout d’abord, il faisait un essai, deux essais, dix essais. Moins orienté que son modèle, il offrait "Papa, achète-moi un Juke-Box", là où l'aîné plaçait le "Kyrie- eleison" et "Cu-currucu-cupaloma" au moment de l'"Ite missa est".
Il avait étalonné lui-même son émetteur pour découvrir un "trou" dans la gamme des ondes moyennes, entre les stations de la R.T.F. et les étrangers, ainsi que les ondes courtes.
 
Le Temps du Miracle

 
Afin de ne gêner personne, il s'était fixé sur la bande de 251 mètres. Et, un soir, il plaça "Bambino" sur le plateau, ferma portes et fenêtres, tourna un bouton, traversa en courant la rue où il avait établi son commerce de radio-électricien, et arriva, haletant, chez sa voisine, Mme Pingault.
Là, il demanda à l'aimable et souriante dame de se brancher, "pour voir", sur 251 mètres...
Et le miracle se produisit. Grâce à la téléphonie sans fil, Dalida se captait à distance!
 
Alors, M. Brothier, en transpirant, s'écroula sur une chaise, comme un champion après une grande victoire. Puis il annonça "Ça marche! "
Mme Pingault, du coup, se redressa puis désignant une autre personne présente dit:
"On peut lui dire ?"
- On peut.
- Dans le poste, c'est M. Brothier qui parlait... Pas Léon Zitrone.
- Mais non! il est ici.
- Ça ne fait rien, c'était lui, tout de même. Parce que - ne le répétez pas...
- Si, ci, opinait le speaker, vous pourrez le répéter.
- Bon, eh bien ! A Nanteuil, maintenant, on a notre émetteur...
Elle avait eu une inflexion plus forte pour souligner "notre"...
- Ah ! vous alors, Monsieur Brothier !
Comme la fidèle servante de Molière...
 
Révolution dans la Ville

 
De ce jour, le village entra en révolution. Une révolution charmante, à coups de sourire, à coups de désirs exprimés à mi-voix.
- M. Brothier, à l’intention de mon grand-père, ça vous gênerait pas, Si vous émettez encore, de faire chanter "La Marmite", par Dario Moreno ?
- Prends l'écoute mercredi, à 6h30, je donnerai "La Marmite".
 
- C'est ainsi, nous a confié l’animateur de Radio-Nanteuil, que mon émetteur commença à diffuser les disques de l'auditeur, puis des crochets, puis des saynètes et, un jour que l’accordéoniste Ségurel était venu se produire dans notre salle, une retransmission en directe de son concert.
 
Le village était heureux. J'étais heureux, moi aussi. En décembre 1961, nous avions deux émissions hebdomadaires, la première le mercredi, de 18h30 à 23h du soir, l'autre le samedi, de 18h à 24h.
Tout commençait par le tic-tac d'un réveil que je plaçais à proximité du micro. Puis "lbérica", l'indicatif, qui passait sur un des pick-up.
Je savais qu'à partir de cet instant, de nombreux récepteurs étaient branchés sur mon studio, sans oublier les auditeurs lointains, par les ondes courtes, jusqu'en AFRIQUE même.
 
Entre chacune de mes productions, régulièrement, je répétais: "Au cas où nous troublerions l'écoute d'autres postes, nous prions nos auditeurs de nous en faire part, afin de prendre toutes les mesures qui s’imposent".
 
Un jour, par deux lettres anonymes adressées, dit-on, l'une par un concurrent de M. Brothier, la police fut alertée.
"Un pirate s'est installé sur les ondes... Cherchez-le du côté de Nanteuil. Il se moque des interdictions, il doit être arrêté. - Signé: Un Ami de la Justice... et les Justiciers".
 
A dire vrai, jusqu’à Angoulême, on connaissait le secret de Nanteuil. Mais du moment qu'aucune plaintes n’avaient été enregistrées...
 
Deux inconnus dans la Ville

 
Alors, par un matin froid d'hiver, on vit se glisser entre les maisons du village une anonyme camionnette 2 CV arborant une petite antenne.
Deux hommes, aussi anonymes qu'elle, en sortirent, un petit et un gros, dont un gamin irrespectueux remarqua tout de suite qu'il était sujet à des flatulences à chaque pas qu’il faisait.
- Qui vous êtes ? interrogeait le gamin.
- Des représentants de commerce. Laisse-nous tranquilles.
Et les inconnus entrèrent à l'intérieur de la camionnette, mirent en marche un poste à transistors couplé à un magnétophone, et attendirent. Ce devait être un mercredi ou un samedi. A la nuit tombante, alors que leur poste était resté muet des heures durant, une musique, soudain, se fit entendre "lbérica". Puis "Mustapha". Puis "Tu peux le prendre".
Quelques instants plus tard, les hommes à la 2 CV disparaissaient. Ils en savaient assez.
 
Dans un laboratoire, on devait déjà étudier les bandes enregistrées. "Ibérica" ? C'était clair: ça symbolisait l’Espagne, refuge de tous les comploteurs. "Mustapha", même sussuré par Dario Moreno ? les Musulmans, bien sûrs. Et "Tu peux le prendre", de Dalida ? Hein ? "Tu peux le prendre", ça c'était l’appel !
 
Oui, eh bien! Elle était bonne la piste de Brothier, les chansons peuvent servir de code secret. Il fallait revenir. Confondre le "clandestin".
 
Et, le lendemain, muets, le flair en éveil, les deux enquêteurs, le petit et le gros, revinrent. Pendant six jours on les revit. On s'étonna de ce que ces étranges représentants de commerce n'aient proposé encore ni lacets de souliers, ni torchons, ni gyroscopes, ni produits d'entretien.
 
La sanction ? En définitive, c’est le Tribunal d’Angoulême qui allait la prononcer la semaine dernière: 1F d'amende. Une peine de principe.
L'animateur possède bien une licence pour utiliser la bande allouée aux amateurs, entre 20 et 40 mètres.
- Mais la loi impose de ne parler que de technique. Et la technique n'est guère passionnante pour le profane. Ce qui m'intéressait, c'était d'avoir mon émetteur privé, sans politique. Et, je le répète, je ne gênais personne. Mon rêve, ce serait, un jour, de pouvoir, en règle, remonter Radio-Nanteuil. Mais est-ce possible?
Pour faire oublier à ses administrés leur déceptions, le Maire proposa d’organiser, sur les plateaux qui dominent la vallée, un club d’aviation.
Après Radio-Nanteuil, Aéro-Nanteuil ?
Pourquoi pas, puisque, à présent, les Nanteuillais attendent le nouveau miracle qui les arrachera à leur ronron quotidien ?
 
Ch. DAUZATS.
 

 
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